Le bureau paysager promis depuis des décennies aux salariés du monde entier n’est-il pas en train de prendre corps. De paysager, il n’avait que le nom et les anglo-saxons, moins versatiles, le nommaient Open-Space ; espace ouvert, terme moins vendeur mais plus adéquat.
Le paysage vendu ici se limitait à des vues directes sur l’écran de son voisin de gauche, de droite et d’en face. Seule la proximité immédiate du couloir pouvait rappeler une autoroute se frayant un chemin entre des collines d’armoires. Souvent, le paysage se réduisait au lierre, en pot, que Marie-Françoise avait disposé dans un angle de son armoire et dont l’arrosage aléatoire avait rendu la frondaison un peu piteuse.
Mais les temps changent ou plutôt le temps change. Plus que le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement, c’est un rapprochement vers la nature que souhaitent, aujourd'hui initier des salariés en mal de végétation et de paysage. Ce besoin de nature est décrit par l’entomologiste Edward Osborne qui introduit le terme de BIOPHILIE dans un ouvrage paru en 1984 « Biophilia ».
Cet indispensable besoin de l’être humain de se rapprocher de la nature et d’autres formes de vie se nomme la BIOPHILIE.
Des sens et des postures
On sait qu’une journée de travail entraine diverses postures de travail. (cf : Postures). Or pour chacune de ces postures un type d’espace de travail doit être proposé. Ainsi, mettre en œuvre la biophilie dans un projet d’aménagement ne se limite pas à peindre les murs en verts et à disposer des plantes ici et là, mais est plus une réflexion sur la nature des espaces, les fonctions des différents locaux de l’entreprise. La conception d’une salle de réunion, d’un bureau paysager, d’un box ne peut pas accoucher d’espaces identiques. Les fonctions, les temps d’usage, les surfaces sont variées, impliquant des différenciations. Un moyen de marquer des différences, d’éviter une harmonisation ennuyeuse des espaces et d’agir sur l’épaisseur de l’architecture intérieure. Ici plus fin, là plus épais, sans justification structurelle, juste pour introduire de la variété, même le cloisonnement peut devenir un élément architectonique fort.
Comme dans la nature, un type d’espace répond à une appréhension sensorielle particulière. Une grotte n’est pas une prairie qui n’est pas une forêt. Il faut introduire de la variété, de la surprise. La variété ne se limite pas à la structure des espaces qui met en œuvre le sens de la vue, mais doit également faire participer les autres sens, comme l’ouïe, le toucher et les autres stimulations sensorielles.
Le renouveau de l’art nouveau.
L’Art Nouveau, avait introduit la végétalisation des arts, en réaction à l’industrialisation massive du début du 20ème siècle. Le tournant biophilique du bureau est une réaction contre les espaces aseptisés et standardisés proposés et répond à l’éloignement de plus en plus prégnant des citadins de la nature. L’évocation de la nature par la reproduction de formes, de matériaux, d’objets, ou de symboles permet d’assoir la conception des espaces sur des concepts universels et acceptés par tous.
Insérer vos espaces de travail dans une démarche biophilique implique de mettre en œuvre des formes, des textures, des motifs biomorphiques dans les calepinages, dans le design des agencements et du mobilier. Utiliser des matériaux bruts comme le bois, la terre, l’eau et bien sûr des plantes (murs végétalisés, végétaux stabilisées), ou encore les couleurs, vert, brun, beige, les variations de lumières et pourquoi pas de réverbérations acoustiques ou des changements de températures sont des pistes à explorer pour diversifier les espaces.
Mais, il ne faut pas se planter. Contrairement à ce qui est écrit ici et là, les plantes non pas le pouvoir de dépolluer notre environnement. Aucune étude, in situ, n’a réussi à démontrer que le lierre de Marie-Françoise pouvait absorber les composés volatiles diffusés par le photocopieur situé dans son dos. Le plus sain pour Marie-Françoise serait de déplacer le copieur dans un endroit adapté et correctement ventilé.
Un territoire et des modèles.
De même qu’une architecture de qualité est ancrée dans son territoire (on ne va pas construire le même musée à Abu Dhabi et à Metz), un poste de travail doit être ancré dans un espace. Il doit posséder des limites, des frontières qui « stabilisent » sa position. Il doit s’ancrer dans un territoire (même un poste de travail en Flex Office).
Hier, on occupait ce territoire comme on urbanise une ville, des axes, des vues, des repères, des places, des vides, des pleins. Aujourd’hui, la biophilie, incite non plus à penser le bureau comme un environnement à urbaniser mais comme un espace à paysager.
Dans l’ouvrage édité par Terrapin Bright Green (Société de consulting et de planning stratégique environnemental), les auteurs indiquent quatre modèles de « Nature de l’espace ».
La perspective (le modèle de la savane)
Une vue dégagée permet de voir venir, de venir voir. Les espaces transparents, la possibilité de voir d’un espace à un autre sont rassurants.
Le refuge
Un espace enveloppant, qui permet le recul, le repos seul ou en petit groupe. Une grotte, une cabane régressive sont des lieux indispensables non seulement pour s’approcher d’un environnement biophilique mais aussi pour permettre aux utilisateurs du bureaux paysager de pouvoir s’isoler et retrouver pour un temps une certaine intimité.
Le mystère
Comme Monet qui toute sa vie durant forgeât son jardin pour en obtenir des vues variées, un espace tertiaire peut offrir une variété de points de vue et créer la surprise. Le mystère et la surprise peuvent se manifester au travers de circulations courbes, d’éclairages plus ou moins intenses. Il doit inviter à la découverte, à l’invention et à l’évasion.
Le risque
Le risque ou l’expérience, à partir du moment ou ils sont maîtrisables, sont attirants. Un plancher ou un garde-corps transparent, des façades vitrées de dalles à dalles ont toujours de l’attrait. On s’approche et on tente expérience. Dans un environnent tertiaire, le risque pourrait se manifester par une architecture déconstruite et instable oscillant avec parcimonie entre stabilité et instabilité.
A retenir
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Le territoire | La perspective | Le refuge | Le mystère | Le rique |
M. Jourdain
Marie-Françoise comme M. Jourdin fait de la Biophilie sans le savoir. En apportant ce lierre au bureau, elle permet à l’ensemble de ces collègues de pouvoir assouvir un besoin de nature. Comme elle, en appliquant quelques principes de bon sens et de la poésie dans la conception des environnements tertiaire, nous pouvons apporter du bien-être au travail simplement et humblement.
L’optimisation des bureaux n’équivaut pas à une réduction des surfaces de travail mais a une meilleure utilisation des espaces. Mettre en œuvre des principes de Biophilie n’implique ni une réduction, ni une augmentation des surfaces utiles mais engendre une meilleure approche dans la conception des espaces.
80% de la population française vit et travaille dans une zone urbaine. Maintenir un lien avec la nature, avec le monde du vivant, est primordial pour notre esprit mais aussi pour en comprendre le fonctionnement et pour la respecter.
Ça n’a, « presque » rien à voir, mais je vous conseille la lecture de « Chien-Loup » de Serge Joncour (J’ai Lu). Un citadin aux prises avec la NATURE.
- Tous les ennuis que nous vaut la vie moderne sont dus à ce qu’il y a divorce entre la nature et nous
Isaac Asimov